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Représentations linguistiques : facteurs déterminants des changements et évolutions langagiers

Dans l’article qui a tenté de définir la langue, nous avons expliqué pourquoi nous ne pouvions pas considérer la langue comme un simple outil de communication pour la simple et bonne raison que, contrairement aux outils que nous utilisons au quotidien, nos sentiments ont un impact sur l’usage que nous faisons de la langue. Ses sentiments, les sociolinguistes les appellent « représentation linguistique ». Alors c’est quoi « la représentation linguistique », comment se perpétue-t-elle et quelles conséquences peut-elle avoir sur le comportement linguistique du locuteur ? Nous en parlons maintenant.

Les locuteurs ne sont pas neutres face à la langue, ce qui veut dire qu’ils ont leur avis sur la ou les langues qu’ils parlent et même sur celles qu’ils ne parlent pas. Ils peuvent trouver une langue belle alors qu’une autre sera laide, une langue harmonieuse, civilisée alors qu’une autre sera sauvage, désorganisée… Ces sentiments ne concernent pas seulement les langues à part entière, elles peuvent aussi toucher les dialectes, variante régionale d’une langue. Ainsi, certains compatriotes haïtiens pensent que le créole du nord serait le créole par excellence alors que pour d’autres, il n’est qu’un charabia incompréhensible. Un locuteur parlant une variété peut aussi avoir des jugements négatifs sur celle-ci. Les représentations sont partagées, donc sociales et collectives et la représentation linguistique, comme les autres catégories de représentations sociales/collectives, sont des « systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres » donc à la langue, à ses usages et aux usagers de la communauté linguistique.

L’homme porte des jugements sur sa propre langue et sur celle des autres depuis les temps anciens. Louis Jean Calvet dans son livre, La sociolinguistique, nous rapporte qu’« on raconte que Charles Quint parlait aux hommes en français, en allemand à ses chevaux et en espagnol à Dieu. » Tullio de Mauro, dans son livre intitulé Une introduction à la sémantique, cite un proverbe du XVIIe siècle qui dit que « l’Allemand hurle, l’Anglais pleure, le Français chante, l’Italien joue la comédie et l’Espagnol parle », et il ajoute : « Nous sommes manifestement ici à la limite où les stéréotypes linguistiques et nationalistes se confondent. » ! Il est intéressant de remarquer que Tullio de Mauro qualifie ses représentations de stéréotypes, ce qui voudrait donc dire que ce sont des jugements erronés sur la langue. Aussi erronés que soient-ils, ses stéréotypes peuvent avoir des incidences sur la langue autant sur le plan linguistique que sur le plan social.

Incidences sociales

Certains locuteurs sont confortables dans leur manière de parler leur langue alors que d’autres trouvent leur manière de parler n’est pas la bonne. Chez le premier type de locuteurs, nous trouverons un sentiment de sécurité linguistique, ce qui le fait penser que la norme c’est sa norme. Mais chez le second type, nous trouverons un sentiment d’insécurité qui le conduira à se ranger, c’est-à-dire, ses locuteurs vont chercher à s’exprimer selon un modèle de référence qu’ils considèreront comme la norme. Dans la plupart des cas, ce comportement engendre l’hypercorrection qui n’est qu’une restitution exagérée des formes que ses locuteurs considèrent comme prestigieuses. On peut observer ce phénomène chez certains locuteurs haïtiens du français, qui exagère la réalisation du /r/ à force de vouloir le réaliser comme les locuteurs de l’Hexagone.
La représentation linguistique peut restreindre une langue à certaines tâches bien précises. Par exemple, en Haïti, vu que nous sommes convaincus que le créole est inapte à véhiculer des savoirs scientifiques, nous l’avons relégué à certaines utilisations secondaires comme la poésie, la musique… alors que nous faisons aisément usage du français lorsqu’il s’agit de science. Il est important de noter qu’il y a environs 300 années que les Français étaient convaincus que le français ne pouvait pas être utilisé pour discuter sur des questions de science ; c’est pour cela qu’il préférait le latin. Nous sommes heureux de constater aujourd’hui qu’ils avaient tort.
Juger qu’une langue est plus apte à véhiculer certains savoir qu’une autre, c’est aussi conclure qu’entre les deux groupes de locuteurs parlant ces deux langues, l’un possède une capacité intellectuelle que l’autre n’a pas et qu’il ne pourra, de part sa langue, pas atteindre. Parce que finalement, les représentations que nous avons d’une langue ne se limitent pas uniquement à celle-ci. Juger une langue, c’est aussi juger ses locuteurs et du coup, se juger soi-même. Cela se conçoit très souvent dans les situations où deux langues cohabitent sur un territoire. On remarque que la représentation que nous avons d’une langue se renvoie à la représentation que nous avons du groupe de locuteurs qui parlent cette langue et aussi de nous-même. Si un groupe de gens parlant une langue quelconque est particulièrement dominant dans les interactions sociales, le groupe dominé parlant une autre langue aura tendance à laisser sa langue tomber, car moins prestigieuse, pour parler celle du groupe dominant. Le linguiste Louis Jean Calvet, dans son ouvrage intitulé Il était une fois 7000 langues, l’explique en ces termes : « Là où deux peuples parlant deux langues vivent côte à côte, se mêlent étroitement, si l’un conçoit, ordonne et distribue les salaires et que l’autre exécute, obéit et vit de ces salaires, il faut s’attendre à ce qu’à la longue les dirigés, les salariés, trouvent plus d’intérêt et soient plus portés à acquérir quelque usage de la langue des directeurs, des salariants, que ceux-ci à apprendre le parler de leurs subordonnés, de leurs employés […] » Ce délaissement progressif d’une langue par ses locuteurs au profit d’une langue jugée plus prestigieuse ou plus adaptée aux activités du quotidien a causé la disparition de nombreuses langues.

Incidences Linguistiques

Les représentations linguistiques peuvent aussi causer des changements à la langue même. Elles peuvent la structure de la langue, dans son lexique… Si un groupe de locuteurs juge que sa manière de parler sa langue n’est pas aussi intéressante que la façon qu’un autre groupe de locuteurs, de cette même langue la parle, cela peut le pousser à adopter progressivement la manière de parler de ce dernier que ce soit du point de vue de la syntaxe, du lexique… William Labov, célèbre sociolinguiste, dans La sociolinguistique, explique de manière méthodique comment cela se passe :
1.Un trait de langue utilisé par un groupe A est marqué par rapport à un autre dialecte standard.

2.Le groupe A est pris comme référence par un groupe B, qui adopte le trait et en exagère l’usage, en signe d’une certaine identité sociale, par réactions à des pressions extérieures.

3.L’hypercorrection engendrée par une pression accrue, combinée aux forces de symétrie qui agissent dans la structure, amènent une généralisation du trait vers d’autres unités linguistiques du groupe B.

4 Une nouvelle norme s’instaure à mesure que s’installe le processus de généralisation.

5.Cette nouvelle norme est adoptée par le groupe contigu et les suivants, pour qui le groupe B sert de référence .

Les changements d’ordre lexicale peuvent survenir lorsqu’un groupe de locuteurs juge que certains mots ou expressions de sa variété sont trop vulgaires ou grossiers, il peut choisir de ne plus les utiliser et de les remplacer par d’autres termes dans une autre variété jugés plus convenables ou “bien-parlants”.
Ce phénomène d’euphémisation, qui consiste à éviter ou remplacer les mots choquants ou tabous par des termes plus doux ou indirects, est directement lié aux représentations que se font les locuteurs de ce qui est socialement acceptable ou non dans leur langue. Les jugements négatifs portés sur certains mots considérés comme trop crus ou orduriers les poussent à en éviter l’usage au profit de formulations jugées plus policées existant dans d’autres dialectes de leur langue.
À l’inverse, un autre phénomène lié aux représentations linguistiques est celui du dysphémisme, où des mots initialement neutres ou même positifs acquièrent une connotation négative et dévalorisante dans l’esprit des locuteurs. Ce changement sémantique s’opère lorsqu’un terme est associé à un groupe social dévalorisé.

Perpétuation des représentations linguistiques

Les représentations linguistiques se transmettent et se perpétuent d’une génération à l’autre au sein d’une même communauté. Dès leur plus jeune âge, les enfants intériorisent les attitudes et jugements valorisants ou dévalorisants véhiculés dans leur environnement familial et social à l’égard des langues et variétés linguistiques. Ces représentations façonnent leur vision des langues et influencent leur propre usage linguistique. Il est ainsi fréquent que les préjugés négatifs envers une langue stigmatisée comme “vulgaire” ou “paysanne” par exemple, soient intériorisés par les jeunes locuteurs de cette langue, les poussant à vouloir s’en défaire pour adopter une langue jugée plus prestigieuse.
Cependant, les représentations linguistiques ne sont pas immuables. Elles peuvent évoluer au fil du temps, reflétant les changements sociétaux et idéologiques. Une langue longtemps dévalorisée peut gagner en prestige si le statut de ses locuteurs s’élève. À l’inverse, une langue prestigieuse peut perdre de son lustre si elle n’est plus associée au pouvoir économique ou politique. Les représentations se construisent et se reconstruisent sans cesse au gré des rapports de force entre groupes linguistiques.

Conclusion

Nous venons de voir que les représentations linguistiques, ces visions subjectives et stéréotypées que nous avons des langues, sont loin d’être anodines. Elles influencent nos comportements et nos usages linguistiques individuels, mais elles ont aussi un impact sur la vitalité et l’évolution des langues elles-mêmes à l’échelle des communautés qui les parlent. Valoriser une langue, c’est valoriser ses locuteurs et leur ouvrir les portes des opportunités qui leur étaient fermées. À l’inverse, la dévalorisation d’une langue mène souvent à sa progressive disparition. Prendre conscience de nos représentations linguistiques, et surtout des préjugés qu’elles véhiculent parfois, est donc essentiel pour une coexistence harmonieuse et équitable entre les langues.

Jocelyn Godson HÉRARD, Copywriter H-translation

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