Si on vous demandait qu’est-ce qu’une langue, il y a de forte chance que vous répondiez qu’une langue est un outil de communication. Vous n’aurez pas tort, mais vous n’aurez pas complètement raison non plus. Alors pourquoi ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Dire que la langue est un outil de communication est le moyen le plus répandu de définir ce fait de langage qu’est la langue. Cette conception de la langue comme un simple moyen de communication n’est pas nouvelle. On la trouve chez certains philosophes de l’antiquité. Certains linguistes, comme André Martinet, ont émis que la fonction première de la langue c’est de communiquer. Mais nous n’avons guère besoin d’être linguiste pour vite se rendre compte que communiquer ne nécessite pas forcément la langue. La langue des signes par exemple est un outil de communication. Et aussi le morse, le sifflet d’arbitrage, les indices laissés sur les chemins d’une marche à la piste… Il est d’ailleurs impossible de ne pas communiquer. C’est-à-dire, nous communiquons même en restant silencieux. Cela fait que nous ne pouvons définir la langue simplement comme un outil de communication. Alors comment définir la langue ?

Pour le structuralisme
Les linguistes s’accordent pour dire qu’une langue est un système de signes qui permet d’établir pour chaque signifiant un signifié. Qu’est-ce que cela veut dire ? Est langue toute manière de parler qui a une quantité de sons limités, distincts (qu’on appelle phonèmes) entre eux et dénué de sens qui permet des constructions d’énoncés sensés (les morphèmes). Ce qui veut dire que le mot « Papa », dont le signifiant est /papa/, est un signe qui est composé d’une suite de sons distinctifs (phonèmes) /p/ et /a/ qui permet d’avoir le morphème « papa » qui a un sens en français ou en créole haïtien, à savoir, un père. Les phonèmes font en même temps que jamais nous ne confondrons “Papa” avec “Dada” parce que les phonèmes /d/ et /p/ permettent de les distinguer du point de vue du sens alors qu’eux-mêmes sont dénués de sens. C’est ce que le linguistique André Martinet appelle la double articulation du langage humain qui se manifeste à travers chaque langue indistinctement.
Pour le variationnisme
Les linguistes, les sociolinguistes particulièrement, définissent aussi la langue comme la somme de ses dialectes. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Le concept dialecte, en linguistique variationniste, désigne les différentes variantes d’une langue sur un territoire donné. Vladimir Depau le définit de la manière suivante : « Famille de parlers génétiquement apparentés qui partagent, à l’intérieur d’une langue variable dans l’espace, un certain nombre de traits secondaires permettant un certain degré d’intercompréhension. » Nous pouvons donc définir la langue comme « la somme de tous les dialectes qui sont intercompréhensibles ». Toutes les façons de parler est à la base un dialecte d’une langue que nous ne pouvons pas vraiment appréhender dans toute son abstraction. Ce qui veut dire, ne pouvant maitriser la langue dans sa totalité, nous ne parlons qu’un (ou plusieurs) de ses dialectes.

Pourquoi la langue ne peut être considérée comme un simple outil de communication ?
Nous venons de définir la langue selon deux courants de la linguistique : le structuralisme et le variationnisme. Et nous vous avons fait remarquer dès le début de cet article que pour les fonctionnalistes, on ne peut déparier la langue de sa fonction de communication. Et cela ne pose aucun problème. Ce qui pourrait être un problème serait de la réduire en un simple outil de communication. Pourquoi ? Le linguiste Louis Jean Calvet nous fait savoir que réduire la langue en un simple outil de communication risquerait de faire penser, d’une manière erronée, qu’il existerait un rapport neutre entre la langue et ses locuteurs. Parce qu’un outil est un instrument qu’on sort par besoin et qu’on range après utilisation. Les sentiments qu’on porte à cet outil, un marteau par exemple, n’influence en rien l’usage qu’on fait de lui. Or la langue n’a pas ce rapport neutre avec les locuteurs qui l’utilisent. Les représentations que nous avons d’une langue peuvent avoir des incidences positives ou négatives sur l’usage que nous faisons d’elle au quotidien. Nous pouvons ainsi commencer à nous questionner sur la raison pour laquelle le créole haïtien est toujours une langue minorée par rapport au français.
Conclusion
Contrairement à l’opinion populaire, nous venons de voir que la langue ne peut être définie que par sa fonction fondamentale qui est celle de communiquer. Elle est aussi, d’après un point de vue structuraliste, un système de signes qui permet d’établir pour chaque signifiant un signifié. Ce qui veut dire que la langue est un système qui mobilise une quantité limitée de sons dénués de sens afin de pouvoir produire des énoncés sensés innombrables. Nous avons aussi vu que, d’un point de vue variationniste, la langue est la somme des dialectes qui la compose. Et finalement, nous avons compris pourquoi considérer la langue seulement comme un outil de communication pouvait conduire à une compréhension erronée du rapport que les locuteurs entretiennent avec elle. Cela nous a permis d’introduire le concept de ‘représentation’ qui fera l’objet de notre prochain article.
Jocelyn Godson HÉRARD, Copywriter, H-Translation