Cet article explore l’aptitude humaine au langage, une capacité universelle et fondamentale, à travers une synthèse des théories et perspectives qui ont marqué la linguistique moderne. Inspiré de l’article original d’Elizabeth Closs Traugott, publié dans la revue Diogène (2010), il propose une vision enrichie et contextualisée des grandes questions qui animent ce domaine : de l’origine du langage à son rôle dans la société et la pensée humaine. Un voyage intellectuel captivant entre biologie, cognition et culture.

La linguistique, en tant que discipline scientifique, s’attache à l’étude de l’aptitude humaine au langage, une faculté universelle et essentielle à la condition humaine (Traugott, 2010). Ce domaine de recherche ne s’intéresse pas à ce qui devrait être, mais à ce qui est : il observe, décrit et analyse les langues dans toute leur diversité et leur complexité, sans prétendre imposer des normes ou des jugements. Une telle approche inscrit la linguistique dans un cadre descriptif, bien éloigné des préoccupations prescriptives qui ont longtemps dominé l’étude des langues.
Historiquement, les prémices de la linguistique remontent à des traditions anciennes, comme celle du grammairien sanskrit Panini au IVe siècle avant notre ère. Cependant, en tant que science moderne, elle a émergé au XIXe siècle, s’articulant autour de l’analyse comparative des langues indo-européennes. Cette période a été marquée par la formalisation des relations systématiques entre ces langues, notamment par le biais de modèles inspirés de l’arbre généalogique, une métaphore empruntée aux sciences naturelles et popularisée par Schleicher (1861-1862). Ces travaux, initiés par des figures telles que Sir William Jones, ont ouvert la voie à une compréhension évolutive et systématique des langues, concept que Darwin lui-même reconnut comme valide dans The Descent of Man (1871).
La linguistique moderne a connu plusieurs étapes majeures. Le XXe siècle a vu naître les théories structuralistes, portées par Ferdinand de Saussure, qui a introduit des concepts fondamentaux comme l’arbitraire du signe linguistique et la distinction entre langue et parole (Saussure, 1916). Ces travaux ont souligné la nature systémique des langues et leur fonction au sein des sociétés. Plus tard, l’œuvre révolutionnaire de Noam Chomsky a redéfini la discipline en introduisant la grammaire générative, qui postule que l’aptitude au langage est une capacité innée, génétiquement déterminée et structurée par une grammaire universelle (Chomsky, 1957 ; 1986)
Parallèlement, des approches fonctionnelles ont émergé pour mettre en lumière l’importance du contexte et des usages sociaux dans la formation et l’évolution des langues (Van Valin Jr., 2001). Contrairement aux théories génératives qui privilégient une vision abstraite et interne des structures linguistiques, ces approches fonctionnelles insistent sur l’interdépendance entre le langage et son environnement culturel. Les travaux sur les actes de langage, tels que ceux de Austin (1962) et Searle (1969), illustrent comment les individus utilisent la langue pour accomplir des actions sociales spécifiques, comme promettre ou ordonner.
La linguistique contemporaine explore également des frontières interdisciplinaires, notamment avec les sciences cognitives, les neurosciences et la génétique. La découverte de gènes tels que FOXP2 a soulevé des questions sur l’origine biologique du langage, bien que les interprétations restent prudentes (Crow, 2002). En parallèle, l’analyse de bases de données électroniques a permis de documenter des phénomènes linguistiques complexes et de comprendre les interactions entre variation et changement linguistique (Bybee et Hopper, 2001).
L’étude des usages linguistiques a également montré que la langue est essentiellement dynamique et ancrée dans des expériences corporelles et culturelles. La linguistique cognitive, développée par des chercheurs comme Lakoff et Johnson (1980), met en avant le rôle central des métaphores et des conceptualisations corporelles dans la structuration du langage et de la pensée. Par exemple, des expressions comme « bâtir une argumentation » ou « dans les jours qui viennent » reflètent des métaphores enracinées dans des expériences physiques et temporelles.
Enfin, les recherches sur la variation linguistique, initiées par Labov (1972), ont montré que les langues ne sont jamais homogènes. Leur variabilité reflète des dynamiques sociales, stylistiques et historiques, ce qui ouvre la voie à des études sur la manière dont les langues évoluent et s’adaptent à travers le temps.
En somme, la linguistique offre un cadre pour comprendre l’un des traits les plus distinctifs de l’humanité : la capacité de communiquer, de créer et de transmettre des idées par le langage. En étudiant cette aptitude, elle ne se limite pas à des questions académiques mais éclaire également des enjeux pratiques, tels que l’apprentissage des langues, les pathologies du langage ou encore la préservation des langues en danger. La richesse et la diversité de ce domaine en font un outil précieux pour mieux appréhender les complexités de notre monde et de notre condition humaine.
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Jocelyn Godson HÉRARD, Copywriter H-Translation