Le langage est une capacité propre à l’être humain, mais il se manifeste sous des formes infiniment variées : langues, dialectes, créoles, pidgins… Comment se forment et évoluent ces systèmes linguistiques ? Pourquoi certaines langues disparaissent-elles tandis que d’autres s’imposent comme langues véhiculaires ? Cet article propose une exploration des dynamiques qui façonnent la diversité des langues à travers le monde.

Le langage est une faculté universelle propre aux êtres humains, leur permettant d’exprimer des pensées et de communiquer à l’aide de sons articulés. Chaque individu développe cette aptitude dès l’enfance, indépendamment de la langue spécifique qu’il apprend. Cette capacité innée à acquérir et à utiliser une langue distingue l’être humain des autres espèces animales. Cependant, cette faculté ne se réalise que par l’apprentissage d’une langue particulière, généralement celle de l’environnement familial et social immédiat. On parle alors de langue maternelle. Dans certaines situations, notamment dans des contextes de plurilinguisme, un individu peut être amené à maîtriser plusieurs langues dès son plus jeune âge.
Le nombre total de langues parlées dans le monde est estimé à environ six mille, bien que cette évaluation soit sujette à variation en raison de la difficulté à établir des distinctions claires entre langues et dialectes. Si certaines langues comptent des millions de locuteurs, d’autres ne sont parlées que par une poignée d’individus, souvent menacés par la disparition progressive de leur langue maternelle au profit d’une langue dominante. Contrairement aux idées reçues, toutes les langues, même celles possédant un nombre restreint de locuteurs, présentent une complexité comparable. L’idée d’une langue primitive, plus rudimentaire ou moins élaborée qu’une autre, est donc scientifiquement infondée.
Lorsqu’une langue est parlée sur un territoire relativement vaste, elle tend à se diversifier en variantes locales que l’on appelle dialectes. Un dialecte est une forme spécifique d’une langue qui varie en fonction de critères géographiques, sociaux ou historiques. Toutefois, la distinction entre langue et dialecte est souvent floue. Un usage courant, bien que contestable d’un point de vue scientifique, consiste à désigner par « dialecte » toute langue minoritaire qui ne bénéficie pas d’un statut officiel. Cette acception erronée contribue à marginaliser certaines formes linguistiques, en les plaçant en position d’infériorité par rapport aux langues dominantes.
Il est fréquent que l’on se pose la question de savoir si une forme linguistique donnée relève d’une langue ou d’un dialecte. Or, cette interrogation n’a pas toujours de réponse tranchée. Le critère d’intercompréhension est souvent avancé pour distinguer deux langues distinctes de deux variantes dialectales d’une même langue. Si deux formes linguistiques sont mutuellement compréhensibles, elles sont généralement considérées comme des dialectes d’une même langue ; dans le cas contraire, elles sont perçues comme des langues distinctes. Toutefois, ce critère est relatif et ne permet pas de résoudre toutes les situations. Par exemple, un Parisien peut avoir des difficultés à comprendre un Québécois s’exprimant rapidement, alors que la transcription écrite de leur échange ne poserait aucun problème de compréhension. De plus, des facteurs politiques et culturels peuvent influer sur la classification des langues. Ainsi, certaines variétés linguistiques peuvent être revendiquées comme des langues distinctes dans un contexte d’affirmation identitaire, alors qu’elles pourraient être considérées comme des dialectes selon une approche purement linguistique.
Dans certains contextes, des populations parlant des dialectes différents développent une forme commune de communication, compréhensible par l’ensemble des locuteurs. Ce phénomène aboutit à la formation d’une koïnê, terme qui désigne une variété linguistique standardisée servant d’intermédiaire entre plusieurs dialectes. L’un des exemples les plus connus est la koïnê grecque, qui s’est développée à l’époque hellénistique et a permis à des populations parlant des dialectes grecs distincts de communiquer efficacement. De nos jours, des processus similaires sont observables, comme dans le cas du basque unifié, qui vise à fournir un modèle standardisé compréhensible par l’ensemble des locuteurs bascophones.
Une langue peut également jouer un rôle véhiculaire, c’est-à-dire servir de moyen de communication entre des groupes linguistiques différents. L’anglais, aujourd’hui, est en passe de devenir une langue véhiculaire mondiale en raison de son influence culturelle, économique et politique. À l’inverse, une langue vernaculaire est une langue utilisée exclusivement au sein d’une communauté spécifique, sans fonction intercommunautaire. Dans de nombreux États, la langue officielle joue un rôle de langue véhiculaire, souvent au détriment des langues vernaculaires, qui peuvent progressivement perdre des locuteurs et se retrouver menacées de disparition.
Les langues évoluent au fil du temps, sous l’effet de multiples influences. Des transformations progressives peuvent aboutir à la divergence entre une langue et ses variétés régionales, donnant naissance à de nouvelles langues. C’est ainsi que le latin a évolué pour donner naissance aux langues romanes modernes, telles que le français, l’espagnol et l’italien. L’analyse comparative des langues permet d’établir des filiations et de regrouper les langues en familles. L’une des plus étudiées est la famille indo-européenne, qui comprend des langues aussi diverses que le français, le russe, l’hindi et le persan. Si les méthodes de la linguistique historique permettent de reconstituer certaines langues ancestrales disparues, il demeure difficile d’établir avec certitude l’existence d’une langue originelle unique dont découleraient toutes les langues du monde.
Dans certaines situations de contact linguistique intense, des langues nouvelles peuvent émerger par des processus de simplification et de recomposition. Les créoles en constituent un exemple emblématique. Ces langues apparaissent généralement dans des contextes de colonisation et d’esclavage, où des populations aux origines linguistiques diverses doivent développer un moyen de communication commun à partir d’une langue dominante. Les créoles sont ainsi caractérisés par un vocabulaire largement issu de la langue du colonisateur, mais une grammaire réorganisée de manière originale. L’étude des créoles offre des perspectives particulièrement intéressantes sur les processus de formation des langues et sur la faculté humaine à créer des systèmes linguistiques cohérents à partir d’éléments hétérogènes.
Un phénomène proche est celui des pidgins, qui se développent dans des contextes d’échange entre populations ne partageant pas de langue commune. À la différence des créoles, les pidgins ne sont, à l’origine, la langue maternelle de personne. Ils se caractérisent par une simplification des structures grammaticales et une limitation du lexique. Cependant, il peut arriver qu’un pidgin évolue en créole lorsqu’il devient la langue maternelle d’une communauté, processus illustrant la dynamique évolutive des langues en contexte de contact.
Loin d’être des entités figées, les langues sont en perpétuelle transformation. Elles se modifient, se diffusent, disparaissent ou émergent sous l’effet des interactions humaines. Si certaines langues dominent l’espace mondial, d’autres, plus fragiles, doivent faire face à des menaces d’extinction. L’étude des langues ne se limite donc pas à leur description structurelle ; elle engage également une réflexion sur leur transmission, leur préservation et leur rôle dans la construction des identités individuelles et collectives. Dans un monde où la diversité linguistique est mise à mal par la standardisation et la globalisation, la reconnaissance et la valorisation de toutes les langues apparaissent comme des enjeux majeurs pour l’avenir du patrimoine immatériel de l’humanité.
Jocelyn Godson HÉRARD, Copywriter H-Translation