Toutes les langues naturelles sont composées d’un inventaire fini d’unités phonologiques distinctives appelées phonèmes. Le nombre de phonèmes varie selon les langues, allant d’une dizaine a plus d’une cinquantaine. Dans cet article, nous aborderons l’approche phonologique adoptée par la linguistique théorique pour rendre compte de la structuration des systèmes phonologiques des langues naturelles.

Introduction
Si la plupart des locuteurs maîtrisent intuitivement les règles de bonne prononciation dans leur langue, rares sont ceux qui connaissent la fonction distinctive des sons du langage. C’est précisément l’objet d’étude de la phonologie. Cette discipline linguistique analyse les sons non pas sous l’angle de leurs propriétés articulatoires ou acoustiques, mais de leur rôle fonctionnel au sein du système linguistique. Les unités minimales porteuses de cette fonction distinctive sont appelées phonèmes.
Les phonèmes sont les briques élémentaires combinées en séquences pour former le signifiant des mots et des énoncés. Chaque langue puise dans un inventaire fini de phonèmes, d’une dizaine à une cinquantaine selon les cas. Le créole haïtien par exemple en compte officiellement trente-deux. L’objet central de la phonologie est d’identifier ces inventaires phonémiques et de modéliser leur agencement systématique dans les différentes langues.
Distinguer phonèmes et allophones
Une des tâches premières est de déterminer les oppositions phonologiques pertinentes. Certains sons marquent une distinction de sens minimale, comme [k] et [g] qui différencient les mots « gran » et « kran » en créole haïtien, définissant ainsi deux phonèmes distincts /k/ et /g/. D’autres prononciations alternatives ne servent qu’à réaliser un même phonème dans des contextes particuliers, sans valeur distinctive. On parle alors d’allophones, ou variantes combinatoires d’un même phonème. C’est le cas en français de [o] et [ɔ] qui apparaissent respectivement en fin de syllabe (« rideau ») et devant consonne (« dormir

Neutralisation et archiphonèmes
Cependant, l’opposition entre deux phonèmes n’est pas toujours maintenue dans tous les environnements phonétiques. Il arrive que cette opposition se neutralise dans certaines positions, faisant émerger une nouvelle unité fonctionnelle appelée archiphonème. Ainsi, en français, les phonèmes /s/ et /z/ voient leur contraste s’annuler devant la consonne /m/ dans les mots en -isme, qui peuvent alors se prononcer indifféremment /izm/ ou /ism/.
Variantes libres
L’opposition entre deux sons peut également s’estomper au point où ils deviennent de simples variantes libres d’un même phonème, c’est-à-dire des réalisations interchangeables sans changement de sens. C’est par exemple le cas de [v] et [b] en créole haïtien, phonèmes distincts dans des paires comme vaz/baz, mais qui alternent librement dans kasav/kasab ou siv/sib.
Séquences bien-formées
Au-delà des unités segmentales, la phonologie s’intéresse également aux combinaisons de sons autorisées ou proscrites dans une langue. La plupart interdisent en effet certains enchaînements de consonnes, en position d’attaque ou de coda syllabique. Alors qu’en créole haïtien, les groupes /str/, /skr/ etc. sont illicites en attaque, ils sont permis en français (strate, scruter). Des principes généraux comme la préférence pour l’alternance consonne-voyelle semblent contraindre ces possibilités combinatoires.

Modélisation formelle
La tâche du phonologue est donc de formuler rigoureusement, au moyen de contraintes explicites, l’ensemble des généralisations régissant la structure et l’organisation des systèmes phonologiques. Les théories contemporaines proposent divers cadres formels sophistiqués à cette fin. Ainsi, l’approche auto-segmentale utilise des paliers distincts pour représenter les traits des phonèmes, permettant de dériver élégamment des processus comme l’assimilation, la propagation de traits ou l’OCP (Le principe du contour obligatoire).
Conclusion
En définitive, l’étude phonologique vise à modéliser avec précision et rigueur formelle l’agencement systématique des sons au sein des langues naturelles. En identifiant les phonèmes d’une langue, leurs relations d’opposition et de neutralisation, ainsi que les séquences permises ou interdites, elle cherche à dégager les principes structurants sous-jacents qui en contraignent l’organisation.
Les théories phonologiques contemporaines se dotent pour cela de cadres représentationnels et dérivationnels sophistiqués, capables de capturer de manière explicite les multiples généralisations empiriques observées à travers les systèmes phonologiques des langues du monde. Mieux comprendre ces régularités et les encoder dans des modèles formels constitue une étape cruciale pour éclairer les capacités cognitives fondamentales qui sous-tendent le traitement du langage humain.
Au-delà de sa pertinence théorique, la phonologie trouve également de nombreuses applications pratiques, que ce soit dans les domaines de l’enseignement des langues, du traitement automatique de la parole ou de la remédiation des troubles de la parole par exemple. Ses développements promettent ainsi de bénéficier à une large palette de disciplines, raison de plus pour poursuivre activement les recherches dans ce champ riche et dynamique.
Jocelyn Godson Hérard, Copywriter H-translation