Une étude longitudinale novatrice menée par Noyer-Martin et Baldy révèle les subtilités de l’acquisition de l’écriture chez les jeunes enfants. En suivant quatre cohortes sur trois ans, les chercheurs ont mis en lumière les différentes stratégies adoptées par les enfants, depuis la confusion initiale entre dessin et écriture jusqu’à la maîtrise des règles orthographiques. Cette recherche souligne l’importance d’une approche individualisée dans l’enseignement de l’écriture et offre des pistes précieuses pour l’identification précoce et la prévention des difficultés d’apprentissage. Une plongée fascinante dans les mécanismes complexes qui sous-tendent l’émergence de cette compétence fondamentale.
L’acquisition de l’écriture chez l’enfant est un processus complexe qui s’étend sur plusieurs années. Cette étude menée par Noyer-Martin et Baldy examine l’évolution des stratégies d’écriture chez les enfants de 3 à 8 ans, à travers une approche longitudinale originale.
Les auteurs ont suivi quatre cohortes d’enfants sur une période de trois ans, avec des évaluations annuelles. Cette méthodologie évolutive transverse permet d’observer à la fois les trajectoires individuelles et les tendances générales du développement de l’écriture. L’originalité de cette approche réside dans la possibilité de comparer des enfants du même âge issus de cohortes différentes, offrant ainsi une perspective plus riche que les études transversales classiques.
Les résultats mettent en lumière une progression des stratégies d’écriture qui débute par une confusion entre dessin et écriture chez les plus jeunes. À 3 ans, la majorité des enfants utilisent une stratégie dite “picturale”, où l’écriture se confond avec le dessin. Cette observation souligne l’importance du dessin comme précurseur de l’écriture, un aspect déjà relevé par d’autres chercheurs comme Levin et Bus.

À 4 ans, on observe une grande diversité dans les stratégies utilisées par les enfants. Certains persistent dans l’approche picturale, tandis que d’autres commencent à adopter une écriture plus linéaire ou à produire des lettres sans lien avec la phonologie. Cette hétérogénéité des performances à 4 ans suggère qu’il s’agit d’un âge charnière dans l’acquisition de l’écriture, marqué par d’importantes variations interindividuelles.
Vers 5 ans, on constate une évolution significative. La majorité des enfants produisent désormais des lettres, même si celles-ci ne correspondent pas encore aux sons du langage oral. Cette étape marque une avancée importante dans la compréhension de la nature symbolique de l’écriture. Cependant, l’étude révèle que certains enfants continuent à utiliser la stratégie picturale à cet âge, ce qui pourrait être un indicateur de difficultés futures dans l’apprentissage de l’écriture.
L’entrée dans l’apprentissage formel de l’écriture, qui commence généralement à 6 ans avec le cours préparatoire, marque un tournant décisif. La plupart des enfants de cet âge commencent à établir des correspondances entre les phonèmes et les graphèmes, démontrant une compréhension du principe alphabétique. Néanmoins, l’étude met en évidence que certains enfants continuent à écrire des lettres sans rapport avec la phonologie, suggérant des difficultés potentielles dans l’acquisition du système alphabétique.
À 7 ans, on observe une maîtrise croissante non seulement des relations phonème-graphème, mais aussi des règles orthographiques de base. Cette progression témoigne de l’impact de l’enseignement formel et de la maturation cognitive des enfants.
L’analyse qualitative des trajectoires individuelles révèle deux types de changements dans l’évolution des stratégies d’écriture. D’une part, on observe des changements de stratégie, où l’enfant adopte une approche radicalement différente d’une année à l’autre. D’autre part, on constate des améliorations continues au sein d’une même stratégie. Ces observations suggèrent un processus de développement dynamique, où les connaissances de l’enfant évoluent en interaction avec les contraintes externes, conduisant à l’émergence de nouvelles stratégies lorsque les précédentes atteignent leurs limites.
Un aspect particulièrement intéressant de cette étude est l’identification de trajectoires atypiques. Les auteurs ont observé que les enfants qui persistaient dans l’utilisation de la stratégie picturale à 4 et 5 ans étaient plus susceptibles de rencontrer des difficultés dans l’établissement des correspondances phonème-graphème à 6 ans. Cette observation souligne l’importance d’une intervention précoce pour aider ces enfants à franchir le cap de la distinction entre dessin et écriture.
De même, l’étude met en lumière l’importance des aspects moteurs dans l’acquisition de l’écriture. Les enfants qui n’avaient pas suffisamment pratiqué la production de lettres avant 6 ans (restant par exemple dans une stratégie spatiale exclusive) étaient plus susceptibles de rencontrer des difficultés motrices dans l’écriture par la suite. Ces résultats corroborent les travaux de Graham et ses collaborateurs sur l’importance de l’entraînement moteur précoce dans la prévention des difficultés d’écriture.

En conclusion, cette étude apporte un éclairage précieux sur les trajectoires développementales de l’acquisition de l’écriture chez les jeunes enfants. Elle souligne l’importance d’une approche individualisée dans l’enseignement de l’écriture, prenant en compte la grande variabilité des rythmes de développement. Les auteurs suggèrent que l’identification précoce des enfants qui persistent dans des stratégies moins avancées pourrait permettre des interventions ciblées pour prévenir les difficultés ultérieures.
Cette recherche ouvre également des perspectives intéressantes pour de futures études. Il serait pertinent d’explorer plus en détail les facteurs qui influencent les trajectoires individuelles, tels que l’environnement familial, les pratiques pédagogiques ou les caractéristiques cognitives des enfants. De plus, une analyse plus fine des transitions entre les différentes stratégies pourrait apporter des informations précieuses sur les mécanismes sous-jacents à l’acquisition de l’écriture.
Enfin, les implications pédagogiques de cette étude sont nombreuses. Elle souligne l’importance d’une approche différenciée de l’enseignement de l’écriture, adaptée aux stratégies et au rythme de développement de chaque enfant. Elle encourage également les enseignants à être attentifs aux signes précoces de difficultés potentielles, permettant ainsi une intervention rapide et ciblée. Dans un contexte où la maîtrise de l’écrit est cruciale pour la réussite scolaire et l’intégration sociale, ces résultats constituent une base solide pour améliorer les pratiques pédagogiques et soutenir tous les enfants dans leur apprentissage de l’écriture.
Jocelyn Godson HÉRARD, Copywriter H-Translation