Dans cet article, nous plongeons dans la distinction fondamentale proposée par Noam Chomsky entre compétence et performance linguistique. La compétence, représentant la connaissance implicite des règles grammaticales, s’oppose à la performance, qui désigne l’utilisation concrète de la langue dans des situations réelles. Nous explorerons également la notion d’universaux linguistiques et la quête d’une grammaire universelle, tout en examinant les défis et limites de ces concepts dans la linguistique moderne.
La compétence linguistique et les performances verbales sont des concepts centraux dans la linguistique moderne, notamment dans le cadre de la théorie générativiste de Noam Chomsky. Ces deux notions se distinguent fondamentalement par leur rôle et leur fonction dans l’usage de la langue. La compétence renvoie à la connaissance intérieure et implicite des règles linguistiques par les locuteurs, tandis que la performance désigne l’utilisation concrète de cette compétence dans des situations réelles de communication.
Dès ses premières réflexions, Chomsky a envisagé la question des relations entre le modèle génératif qu’il développait et l’usage effectif de la langue par les locuteurs. Avant même d’introduire formellement les termes de « compétence » et de « performance », il avait déjà posé les bases de cette distinction en soulignant le caractère théorique de la structure grammaticale. Dans son ouvrage “Structures syntaxiques”, il mentionne que la grammaire qu’il propose n’est qu’un modèle théorique, tout en suggérant qu’elle pourrait aider à éclairer le processus de compréhension des phrases dans la langue réelle. Toutefois, il reconnaît que pour comprendre une phrase, des connaissances autres que purement linguistiques sont nécessaires, notamment celles portant sur le sens et la référence.
Chomsky fait ainsi preuve d’une certaine prudence initiale en ce qui concerne la portée explicative de son modèle grammatical. Il admet que les performances langagières des locuteurs ne peuvent être expliquées uniquement par les niveaux linguistiques qu’il décrit. Cette position va évoluer, notamment avec l’influence des écrits de Wilhelm von Humboldt, qui affirmait que la forme du langage ne pouvait pas être réduite à une abstraction conceptuelle, mais qu’elle exprimait également la manière dont une communauté humaine structure ses idées et ses perceptions par le biais du langage.
Inspiré par cette conception, Chomsky va progressivement renforcer l’idée que l’étude des processus génératifs sous-jacents à la compétence est une condition nécessaire pour comprendre l’utilisation du langage. Il ira jusqu’à affirmer que la seule manière d’aborder sérieusement les questions de performance verbale est de s’appuyer sur une théorie générative de la compétence. Ainsi, selon Chomsky, les études de la performance qui ne prennent pas en compte les mécanismes génératifs sous-jacents à la compétence risquent d’être incomplètes. Il postule que le modèle génératif est l’outil principal pour l’étude de la performance, et que c’est grâce à ce modèle que les résultats les plus pertinents dans ce domaine ont été obtenus.
La distinction entre compétence et performance repose donc sur une asymétrie fondamentale : alors que la compétence est un système de règles abstraites et intangibles, la performance est l’actualisation de cette compétence dans des situations concrètes de communication. Toutefois, la performance ne reflète pas toujours fidèlement la compétence d’un individu. Elle peut être influencée par une série de facteurs internes, tels que les limitations de la mémoire, des erreurs de production ou des interférences perceptuelles. Elle peut aussi être affectée par des facteurs externes, comme le contexte de l’interaction, les intentions des interlocuteurs ou les conditions environnementales.
La compétence, en revanche, est un savoir théorique parfait. Elle se manifeste à travers un ensemble de règles qui régissent la structure profonde de la langue et qui permettent au locuteur de produire et de comprendre un nombre infini de phrases. Dans cette perspective, la tâche principale du linguiste est de modéliser cette compétence, en se concentrant sur les structures mentales sous-jacentes à la production et à la compréhension des phrases. Les erreurs, hésitations ou reformulations qui apparaissent dans la performance réelle ne sont pas au cœur de l’analyse linguistique, car elles relèvent d’aspects psychologiques ou contextuels que le modèle génératif ne cherche pas à expliquer directement.

Cette conception sera reprise par l’ensemble des linguistes du courant générativiste, qui continueront à affirmer la primauté de la compétence sur la performance. Le linguiste doit décrire la réalité mentale qui sous-tend les actes langagiers, tandis que la psycholinguistique se consacre à l’étude des conditions psychologiques et des processus cognitifs qui affectent la performance. La théorie de la compétence se construit de manière autonome, alors que la théorie de la performance doit nécessairement intégrer des éléments de la compétence pour être valable.
Après la publication de *”Aspects de la théorie syntaxique”*, Chomsky renforce encore la distinction entre compétence et performance, au point de laisser entendre que la performance n’a pas d’autonomie propre. Bien qu’il n’affirme jamais explicitement cette idée, elle transparaît dans plusieurs de ses écrits, où il évoque l’inadéquation des modèles de compétence pour expliquer directement la performance. Il admet que transposer un modèle génératif destiné à décrire la compétence dans le champ de la performance serait une erreur. Pourtant, il est difficile de ne pas percevoir dans ses travaux une tension constante entre ces deux domaines, qui a parfois conduit à une confusion dans leur délimitation respective.
Parallèlement à cette réflexion sur la compétence et la performance, Chomsky développe l’idée que la compétence linguistique repose sur des principes universels communs à toutes les langues. Ces universaux linguistiques constituent la base de ce qu’il appelle la « grammaire universelle », un ensemble de structures innées qui sous-tendent toutes les langues humaines, malgré leurs différences superficielles. L’objectif de la théorie générative est de modéliser ces structures universelles et de formuler des règles applicables à toutes les langues.
Cependant, cette quête d’une grammaire universelle soulève plusieurs défis. Le premier concerne l’étendue des caractéristiques universelles. Chomsky n’a jamais donné de réponse définitive à la question de savoir si toutes les règles de la grammaire générative sont universelles, ou si seules certaines d’entre elles le sont. Il suggère que les principes fondamentaux, comme la distinction entre structure profonde et structure superficielle, appartiennent à la grammaire universelle, mais il laisse entendre à d’autres moments que toutes les règles de la grammaire pourraient être universelles.
Le second défi est méthodologique. Les modèles de grammaire générative ont été principalement élaborés à partir de l’anglais et des langues indo-européennes. Cependant, les études comparatives sur des langues non indo-européennes ont montré que certaines des catégories utilisées dans ces modèles ne s’appliquent pas à toutes les langues. Cela met en question l’universalité des structures décrites et souligne la nécessité de conduire des recherches sur un plus grand éventail de langues pour valider ces théories.

Enfin, une autre question essentielle soulevée par Chomsky est celle des relations entre les universaux linguistiques et les universaux cognitifs ou perceptifs. Certaines théories psychologiques suggèrent que de nombreux principes à l’œuvre dans le langage sont également présents dans d’autres aspects du comportement humain, ce qui pourrait remettre en cause la spécificité des structures linguistiques universelles. Chomsky reconnaît que le langage partage certaines caractéristiques avec d’autres systèmes cognitifs, comme l’intentionnalité ou la structure syntaxique, mais il soutient que la spécificité du langage réside dans sa créativité. Cette créativité, selon lui, distingue fondamentalement le langage humain des autres formes de communication et des autres comportements cognitifs.
En conclusion, la distinction entre compétence et performance, ainsi que l’idée d’une grammaire universelle, constituent des piliers de la théorie linguistique de Chomsky. Si la compétence est un système abstrait de règles mentales, la performance est l’expression concrète de ce savoir dans des situations réelles, influencée par de nombreux facteurs. Les universaux linguistiques, quant à eux, restent un concept central mais difficile à valider de manière exhaustive, en raison de la diversité des langues naturelles et des contraintes méthodologiques qui en découlent. Ces réflexions continuent de susciter des débats, tant dans le champ de la linguistique que dans celui de la psychologie cognitive.
Jocelyn Godson HÉRARD, Copywriter H-Translation